Petite, j'avais un plan de carrière précis en tête.
- '' Tu veux faire quoi plus tard ma grande ? ''
- '' Astronaute, ou présidente du monde, ou alors exploratrice, comme l'animatrice qui fait le tour de la planète avec son sac à dos, mais astronaute avant. ''
Une fête foraine, l'été 1998, les chaises volantes, une obscure aventure, qui s'est finie avec des haricots verts à terre. Et je pleurais, non pas d'avoir rendu mon dîner, non. Ce furent mes premières larmes de désespoir, d'impuissance. Parce que si mon estomac ne supportait pas les chaises volantes à Agadir, il ne valait mieux pas penser aux tests de la NASA. Un gros chagrin, j'ai refusé d'aller à la plage pendant une semaine, inconsolable, remisant mes livres sur l'espace, tirant un trait définitif sur ma carrière d'astronaute (et pas cosmonaute, à 7 ans, j'avais choisi mon camp). Pour me changer les idées, mon père me dégota des magazines au souk, et je crois que c'est le point de départ de mon histoire avec la mode, parce qu'il y avait des échantillons de tissu, et des patrons dans ces magazines des années 1980, et il y avait même Vogue. Cet épisode est assez douloureux, et il en reste des traces, j'ai longtemps évité les photos, car mes parents se sont sentis obligés d'immortaliser ma descente de ces terribles chaises, ma première désillusion, et de les inclure à nos albums de vacances.
Juin 2008. 17 ans. Je pensais avoir digéré cette histoire d'astronaute. Mon plan de carrière était flou, toujours, j'aimais juste autant les tissus, et encore plus les livres. Puis, mon cousin, qui est certainement un héros superstellaire, accompagné de son chien Goldorak, m'a offert ces chaussures. Sa façon de me féliciter d'avoir survécu trois ans dans un lycée réputé dangereux. Je n'ai rien d'une future présidente du monde, pas tellement exploratrice, ou juste dans ma tête, quand j'entre dans cette boutique.
J'étais un marin sans le vouloir (je ne sais pas nager, et j'ai le mal de mer), mais je tanguais, au propre comme au figuré, ma vareuse blanche au liseré bleu, l'ancre sur la poitrine, et moi, on essayait de tenir le cap. Quand on a récupéré le paquet cosmique, j'ai bien senti que ces vendeurs de baskets trouvaient que faisais trop propre sur moi pour leur came. C'est vrai qu'elles brillaient ces Freestyle. Argentées et dorées, pas facile à porter. Dubitative au début quand il me les a tendues. '' Cadeau ''.
Et puis, une fois à mes pieds, mes ambitions, mes rêves d'espace sont revenus. J'étais soudain une héroïne intergalactique. Ces baskets me confèrent une sorte de pouvoir quand je les porte, elles veulent dire '' regardez comme je suis fierce, je porte de l'argenté et du doré sur une paire de baskets, qui sont, de plus, largement connotées 80's, et ça n'est même pas ridicule ''. Ce même soir, avec mes baskets-bottes d'astronaute, je me suis retrouvée face à la fontaine, Place Monge. Je lisais Summercrossing, de Truman Capote. Avec le recul, tout était réglé comme du papier à musique. Le livre comme une prémonition. Une envie irrépressible de ranger mes espadrilles sages, et de mettre mes Freestyle. C'est ce que j'ai fait.
Et j'ai entamé mon voyage dans l'espace ce soir là. Le décollage était bref, le temps de tirer sur les languettes. Une fois les scratches serrés, j'ai découvert un paysage lunaire. Ma démarche était gauche, mal assurée, en apesanteur, et tout était désertique et silencieux. Au milieu de ce désert, il y avait un homme lunaire. Ce soir là, le silence était lourd de sens, et je savais que le devais, j'ai décidé de rester dans l'espace. J'étais hors du temps, me rapprochais de cet extra-terrestre. Ma démarche était de moins en moins gauche, et je semblais désormais flotter. Tout était vraiment réglé comme du papier à musique.
Talalalalalala-tata-tata.
Je distinguais de mieux en mieux ses yeux. Ils étaient immenses, de longs cils, recourbés. Tous ces silences entre nous, envisageaient, ouvraient la voie à une longue expédition intersidérale. Je m'y suis lancée, alors que ne maîtrisais pas parfaitement l'équipement, et que la vie lunaire était assez particulière, j'avais juste mes Freestyle aux pieds. Sans avoir besoin d'échanger des paroles, tout transparaissait dans nos gestes, et à travers nos globes oculaires. Toujours mes bottes cosmiques aux pieds. Toujours dans l'espace. On explorait la lune à deux, il m'a montré des coins reculés, sublimes, des zones sinistrées aussi, on s'est donné pour mission de les réhabiliter, et ça me tenait à coeur. Il insistait pour comprendre mon langage, je ne voulais pas, mais cet homme de lune était au dessus de tout, il s'obstinait, et comprenait de mieux en mieux. Il restait l'étape de la parole. Je ne voulais pas, je lui ai demandé, je l'ai supplié, je l'ai même menacé. Connaître toutes les subtilités de ses iris, banalement noirs, mais en fait marron, apprécier la poésie de ses gestes, les plus simples qui soient, de ses sourires, me suffisait amplement, je ne voulais pas qu'il parle ma langue.
Un jour, j'étais en expédition inter-planétaire, c'était devenu habituel, j'aimais faire de bref sauts sur d'autres planètes, pour mieux revenir, retrouver ma lune, et ce précieux extra-terrestre. Mais j'ai entendu sa voix. Non seulement, il comprenait mon langage, mais le parlait aussi à présent.
Et là, j'ai commencé à avoir des problèmes d'équipement. Je ne maîtrisais plus très bien mon approvisionnement en oxygène, trop, parfois pas assez. Je ne voulais pas, j'étais bien sur la lune, avec mon homme lunaire. Il devenait un terrien. Je ne voulais pas, mais quelque chose avait changé. La Terre a commencé à m'envoyer des signaux, pour m'alerter, je n'y croyais pas, j'avais calculé mon coup, tout était sensé être réglé comme du papier à musique, je savais gérer mes réserves d'oxygène sur la Lune, je le savais. Mais non, ça ne suffisait plus, mes jours étaient comptés. J'ai dû pousser le bouton sur ma combinaison.
HOUSTON, WE HAVE A PROBLEM.
Ils ont récupéré la combinaison, il me reste des pierres lunaires, et trois anneaux, et surtout, ils m'ont laissé mes bottes d'astronautes. Mes Freestyle sont dans un coin de mon salon. Elles ont une belle patine, ça veut sans doute dire que j'ai fait un petit bout de chemin avec, même si je suis de retour sur terre.
vachement cool.
RépondreSupprimeret je remercie le jury des oscars pour la passage de l'ancre sur la poitrine.